Parole de... Une danseuse de la Compagnie ACM Ballet

Une danseuse durant un spectacle dans une chambre d'hôpital

Apporter la magie du spectacle dans des lieux non conventionnels, en particulier à l’hôpital, c’est la mission que s’est donnée la Compagnie de danse ACM Ballet depuis quelques années. Par équipe de 4, des danseurs professionnels proposent des mini spectacles conçus comme pour la scène qui se déploient dans des services hospitaliers de toutes spécialités, pour des moments de plaisir, d’émotion, d’échanges autour de la danse, loin du contexte et des circonstances. Une danseuse de la Compagnie ACM Ballet nous ouvre les coulisses de ces représentations insolites et partage avec nous son expérience, les bénéfices de ces spectacles pour les patients, les familles et le personnel soignant.

Question : Comment est née l’association ACM Ballet ?

Réponse : L’association est née en 1989, puis est devenue compagnie de danseurs professionnels en 1997, avec les activités afférentes (productions de spectacles). En 2005, différentes circonstances l’ont amenée à se rapprocher du monde hospitalier. Puis, en 2006, l’idée de spectacles au chevet des patients a mûri. Elle s’est concrétisée sans projection vers un éventuel succès, ni même vers le long terme, juste pour amener un temps le spectacle vivant hors du cadre habituel, vers des personnes éloignées de la vie culturelle. Les échos ont décidé de la suite, avec un nombre croissant de dates et d’établissements hospitaliers demandeurs. L’expérience nous a permis peu à peu de balayer les objections du genre : « Dans notre unité c’est impossible, les chambres sont trop petites » ou « Vous pourriez gêner la visite des médecins ». Nous savons nous insérer dans le cours des choses sans les perturber, au contraire. Lorsqu’un service découvre notre travail, nous demandons le crédit d’une petite dose de confiance pour les premières minutes. Ensuite l’action s’installe, et tout le monde en profite, avec étonnement et enthousiasme.

Quels sont les publics visés ? Les lieux d’intervention ?

En termes d'actions culturelles à l'hôpital, on pense souvent aux services pédiatriques ou de long séjour, pour notre part nous travaillons partout ailleurs : hématologie, soins palliatifs, dialyse, oncologie, consultations, médecine interne, pneumologie, neurologie, soins de suite, post urgence, chirurgie, urgences, etc. Le professionnalisme des danseurs et leur expérience leur permettent d'intervenir dans tous les lieux, pour toutes les personnes. La plus petite chambre, la personne la plus affaiblie, rien n’est un obstacle. L’idée est de travailler partout et pour tous sans perturber le travail des professionnels de la santé, au bénéfice de l’ensemble de la communauté hospitalière.

Il n’y a pas de cible particulière, nous allons voir des personnes dans toute leur diversité, un public.

Qu’est-ce qui vous a motivée pour intégrer le projet ? Qu’est ce qu’il vous apporte ?

Artistiquement, un des aspects intéressants est de pouvoir travailler dans des registres de danse variés. Souvent les compagnies sont étiquetées (contemporain, jazz, classique, danse urbaine, cabaret…). La diversité des formations et des carrières des danseurs d’ACM Ballet permet à la compagnie de s’exprimer dans des styles que ses artistes n’auraient peut-être pas eu l’occasion d’aborder sinon.

Dans un même lieu, nous amenons des chorégraphies nouvelles à chaque venue (parfois deux fois par mois), cela laisse imaginer la « production » ! Il faut créer et travailler en permanence de nouvelles pièces. C’est à la fois un peu stressant mais surtout très stimulant. Et l’engagement de chacun à amener sa part, d’une façon ou d’une autre, est indispensable.

Un autre point enthousiasmant est de pouvoir faire évoluer les chorégraphies. Ne serait-ce que pour une date (et il y en a beaucoup !), le programme est donné dans 15 à 20 chambres, avec en plus des configurations toujours différentes. Autant d’occasions d’affiner les pas, de trouver des sensations nouvelles, de sentir mieux ses partenaires, et d’interagir différemment avec le public si proche.

Les différents éléments ci-dessus évoquent la danse, mais le projet parle aussi de relations humaines à travers la danse. Cette dernière nous permet d’entrer dans le monde hospitalier de façon différente. Nous pourrions paraître incongrus, hors sujet avec nos couleurs, nos tissus qui volent, et nos strass là où il est question de soins, de douleurs à apaiser, de maladies. Et puis non. Notre langage à nous parle à tous, sert de lien, permet des échanges « hors contexte ». Le patient n’en est plus un, sa chambre est un lieu de spectacle. Pour un temps, on passe à autre chose.

Comment se présentent les spectacles proposés ?

Les interventions à l’hôpital se font par équipe de quatre danseurs. Un programme de chambre dure entre 8 et 10 minutes. Il y a parfois des versions courtes à la demande du patient, mais la base est construite comme ça, avec souvent trois pièces chorégraphiques : deux duos puis un final à quatre. Nous essayons de varier les ambiances et les styles au sein d’un même programme, et les costumes vont avec.

Concernant justement les costumes, le cadre impose des vêtements d’entretien facile, qui peuvent supporter le rythme des journées avec une bonne tenue. A part ça, nous les choisissons de façon à ce qu’ils contribuent au plaisir de la vue, à l’ambiance évoquée par la chorégraphie. Leur importance est souvent soulignée, ce sont eux qu’on remarque en premier lorsque nous arrivons dans un service ou dans une chambre.

Comment sont accueillis les danseurs par les personnes hospitalisées et le personnel soignant ? Qu’est-ce que les spectacles leur apportent ?

Les réactions exprimées par les patients sont très variées, mais les mots qui viennent souvent sont : surprise, baume au cœur, évasion, plaisir, positif, soleil du jour.

Nous notons par écrit les échos au cours des interventions, pour ne pas les déformer ensuite. Il y a donc de nombreuses traces maintenant, qui permettent de mesurer le chemin parcouru.

Voici quelques propos de patients recueillis : « En vous voyant je me dis, c’est beau la vie, ça vaut la peine d’être vécu », « Un peu de gaîté dans ce monde, c’est primordial », « Vous illuminez la pièce », « On s’évade », « On oublie tout », « Ça donne envie de s’accrocher »

Les professionnels de santé nous témoignent aussi leur enthousiasme : « On a eu de la joie, de la couleur, de la danse, et encore plus que de la danse », « Un petit plaisir comme ça, cela fait tellement de bien », « Merci surtout pour nos patients, pour les moments enchanteurs qu’ils vivent à chacune de vos venues », « Les moments de vie artistique que vous apportez sont précieux pour nos patients et très appréciés des équipes »

Quel est le plus beau compliment qu’une personne hospitalisée vous ait fait à la fin de votre représentation ?

Il n’y a pas de « plus beau compliment ». Chaque parole est précieuse, chaque silence l’est aussi.. Les artistes ne sont jamais si près du public que dans ces circonstances. Nous sommes à la fois fragiles, forts d’être quatre et d’avoir travaillé pour être là, vulnérables face à la souffrance des gens, forts de leur sourire et de tout ce qui passe entre eux et nous.

La compagnie est volontairement discrète sur son travail à l’hôpital. Pas de réseaux sociaux, pas d’exposition. Les danseurs ne s’investissent pas pour se faire voir. Ce caractère confidentiel va à contre courant de l’air du temps, et pourtant cela fonctionne. D’autres ont eu l’air de découvrir, spécialement au moment de la pandémie Covid, sans manquer de se faire valoir, que le spectacle pouvait être ailleurs que les scènes conventionnelles. Pour ACM Ballet, c’est la réalité depuis longtemps, en toute discrétion et avec efficacité. Pour nous, il est plus important de faire que de faire savoir que l’on fait.


Photo : © Véronique Védrenne