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Numéro 8 - Françoise Laborde, Sénatrice de la Haute-Garonne
Sénatrice de la Haute-Garonne (RDSE), Françoise Laborde est vice-présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat. Dans le cadre de la publication de son rapport « Violences, femmes et handicap : dénoncer l'invisible et agir », dans lequel elle évoque la question des violences faites aux femmes en situation de handicap, elle a accepté de répondre à nos questions. Rencontre.
Q1. Vous avez, au nom de la délégation aux droits des femmes et avec vos collègues co-rapporteurs Roland Courteau, Chantal Deseyne et Dominique Vérien, rédigé un rapport d'information « Violences, femmes et handicap : dénoncer l'invisible et agir ». En quoi était-il nécessaire de traiter ce sujet encore tabou ?
Les femmes en situation de handicap sont frappées d’une vulnérabilité accrue face aux violences, elles sont d’autant plus exposées aux violences physiques, économiques, psychologiques ou même sexuelles. La délégation aux droits des femmes avait choisi cette problématique comme axe de travail pour l’année, dès le début 2019. Le gouvernement ayant de son côté lancé le Grenelle contre les violences faites aux femmes, nous avons saisi cette occasion pour mettre en avant nos recommandations.
Au cours des nombreuses auditions réalisées, nous avons pu mesurer à quel point ce sujet reste tabou, encore aujourd’hui. Ce fléau, dénoncé par les associations qui œuvrent dans le secteur du handicap, reste encore quasi ignoré ou tout du moins méconnu par les institutions. C’est grâce à des personnes comme Maudy Piot, aujourd’hui disparue, et à son association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA), que le prise de conscience se fait progressivement.
Il est urgent de réagir en commençant par un travail de mesure et d’évaluation du phénomène. Tout reste à faire en termes de sensibilisation au niveau des familles, de l’information et de la formation initiale et continue des professionnels, de façon systématique, que ce soit dans le secteur éducatif, dans les services publics, dans le secteur de la santé, de l’éducation, du service à la personne, du médical, socio-médical ou encore du judiciaire.
De mon point de vue, seule une prise de conscience transversale permettra de développer des réponses concrètes.
Q2. Dans ce rapport, vous posez quatorze recommandations. Quelles sont, d’après vous, les plus emblématiques et urgentes à mettre en place ?
Les principaux axes de nos recommandations sont de développer des outils statistiques, de mutualiser ces données, de favoriser l’autonomie des femmes en situation de handicap, de réaffirmer qu’elles sont des citoyennes de plein droit. Les questions sensibles relatives à la vie sexuelle et au suivi gynécologique doivent aussi faire l’objet d’un effort d’information et d’accessibilité de la part des professionnels.
En ce qui me concerne, j’identifie deux axes prioritaires. Le premier, auquel je suis plus particulièrement attachée, est de renforcer la formation et la sensibilisation de tous, des familles, des enseignants et des professionnels, aux menaces qui pèsent sur les femmes en situation de handicap. Le second est de faciliter leur accès aux droits, aux soins et aux services publics, par exemple à la Justice.
Ce point est déterminant car les premiers interlocuteurs, dans la prise en charge des victimes de violences, ce sont les forces de l’ordre et les structures d'accueil judiciaires. Or, beaucoup reste encore à faire dans les commissariats pour faciliter l’accessibilité au dépôt de plainte ou encore les démarches auprès des tribunaux. Les personnels n’ont reçu aucune formation et les procé-dures sont le plus souvent inadaptées, autant d’obstacles supplémentaires qui se dressent.
Comme cela nous a été confirmé lors des auditions, l’accueil des victimes en situation de handi-cap, par la police, reste très difficile : manque d'empathie, manque d'égards, attitude condescendante, inadaptation des questions… Les procédures et les personnels n'intègrent pas la fragilité extrême des victimes, aggravée par la situation de handicap.
Des efforts doivent donc être faits pour développer des outils adaptés et faciliter les démarches judiciaires. Le nombre de permanences juridiques en langue des signes, par exemple, reste trop limité et le public concerné se voit exclu des lieux d'aide aux victimes.
Nous recommandons, en conséquence, dans notre septième recommandation, un renforcement de la formation et de la sensibilisation des acteurs de la chaîne judiciaire aux problématiques du handicap et aussi plus largement des enseignants, des personnels médicaux et médico sociaux ainsi que de tous les intervenants potentiels : l’ensemble des soignants, les écoutants des plateformes téléphoniques comme le 3919 ou le 119, tous les professionnels et bénévoles susceptibles d’entrer en contacts avec des personnes handicapées, y compris les personnels de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et des Cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP).
Q3. Vous aviez appelé de vos vœux que le « Grenelle contre les violences conjugales », qui s’est clôturé le 25 novembre dernier, devait impérativement conduire à des mesures ambi-tieuses dans ce domaine. Quels premiers constats en tirez-vous ? Est-il à la hauteur de vos attentes ?
Les annonces faites par le gouvernement à cette occasion sont très en deçà de nos attentes. Sur un milliard d’euros qui doit être consacré à l’égalité entre les femmes et les hommes, seulement 360 millions sont fléchés vers la lutte contre les violences envers les femmes. C’est loin d’être suffisant je le crains.
La question du logement, par exemple, est au cœur de la problématique de la lutte contre les violences envers les femmes en situation de handicap et elle est très sensible, davantage encore dans ce cas. Ainsi, l’annonce de la création de 1 000 nouvelles places d'hébergement et de logements d'urgence pour les femmes victimes de violences est très insuffisante. Nous en attendions au moins 10 000 pour répondre à la demande réelle. Combien de femmes victimes de violences repoussent la séparation faute de solution d’hébergement ? C’est une question lancinante dans les travaux de notre délégation.
En outre, nous n’avons pas encore assez de recul sur l’application de la loi qui vient d’être votée, fin 2019, visant à agir contre les violences au sein de la famille, celle du bracelet anti-rapprochement. La majorité présidentielle doit déposer une autre proposition de loi, en janvier prochain, s’inspirant des recommandations du Grenelle.
A la Délégation aux Droits des Femmes du Sénat, nous n’avons pas attendu pour déposer une proposition de résolution, à la date symbolique du 25 novembre 2019, reprenant les recommandations de notre rapport d’information contre les violences faites aux femmes en situation de handicap. Cette résolution a d’ailleurs été inscrite à l’ordre du jour de nos débats dans l’hémicycle, le 8 janvier 2020.